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Randonnée Haute Montagne aux Pays des Ours!!!!

Cul léger, cul lourd Cavalcagire ( août 2020)

Nous avons vécu une micro aventure extrême qui nous a menés par des pentes escarpées, du Piémont Commingeois au pied du Crabère. Micro parce que l’affaire se déroule à deux pas de chez nous, extrême parce que riche de sensations intenses avec des chevaux en altitude.

1er jour : chemins noirs d’humus

La caravane se met en route, dix chevaux placides et téméraires que l’altitude va vivifier au cours des cinq prochains jours . Nous quittons le petit village de Chein-Dessus pour rejoindre l’estive de Paloumère. Nous empruntons les chemins forestiers pour nous hisser quelques 1000 mètres plus haut. Nous sommes à l’abri des grands hêtres, le soleil ne nous harcèle pas encore mais les bêtes déjà suent. Leurs sabots s’enfoncent dans l’humus noir du chemin. La pente est raide, les chevaux grimpent vaillamment, soufflent, s’arrêtent, arrachent une touffe d’herbe dans l’attente de l’élan retrouvé de l’animal de tête. Cul léger, nous les accompagnons dans leur effort soutenu, nous ne sommes pas encore amis mais ils sont déjà pour nous plus qu’un simple moyen de se déplacer.

Nous arrivons aux hautes fougères et confions la sente, désormais cachée, à nos montures. Expérimentées, elles nous conduisent au col de la Husse. Pause, on desserre la sangle, on se rassasie un peu, nos chevaux dorment et récupèrent après cette âpre montée.

Nous reprenons le chemin et montons à travers l’herbe riche et les pins vers le plan de Liet. Passés les abreuvoirs, nous découvrons enfin l’estive de Paloumère. Les chevaux la reconnaissent, ils ont grandi sur ces pelouses. Leur joie nous envahit, décuplée par le plaisir d’admirer la succession des pics et de vallées qui s’offrent à nous. Notre itinéraire des prochains jours se dévoilent : la crête de la Calabasse, le pic du Crabère et entre les deux, encore cachés l’écrin de l’étang d’Uls puis celui de l’étang d’Araing.

Nous traversons l’estive, soudés au corps puissant et tranquille de nos montures, les yeux rivés au paysage, interrompant la rumination de quelques vaches paisibles. Nous franchissons le col des Passagers et amorçons la descente. Cul lourd cette fois pour accompagner la démarche chaloupée de nos montures jusqu’au col de Portet où nous dormirons ce soir.

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Fin de journée, changement de rythme, on met de côté nos besoins personnels. On est fourbu, on a faim, on a soif mais on est heureux et c’est le moment de prendre soin de ceux qui nous ont portés toute la journée. Nous les délestons de leur chargement, nous les frottons, massons, soignons les petites misères de la journée puis foin, grains et dodo. Eux dans le bois et nous sous la toile de nos tentes qu’on laisse ouvertes pour attraper entre deux rêves la vision fugace d’une étoile filante.

2ème jour : pistes forestières

9 heures et déjà en route ! Les chevaux se désaltèrent à la fontaine du village montagnard de Portet d’Aspet, provoquant une sympathique petite réunion publique sur la placette. Chacun y va de son commentaire, flattant les bêtes, désavouant ou encourageant le projet : L’étang d’Araing ! Vous n’y pensez pas ?!! Vous ne passerez pas avec les bêtes ?!! C’est amusant cette empathie que les chevaux et leurs cavaliers suscitent sur leur passage.

Nous nous engageons sur le chemin qui va nous conduire à travers bois et pistes forestières à la cabane du col de l’Estrade. Nous allons nous élever tout au long de cette chaude journée, dans les montagnes, et dans nos têtes. Nous rentrons dans une intensité sensorielle nouvelle. Ballotés par le pas de nos montures, nous nous libérons du joug de nos pensées pesantes. Et bientôt, nous nous réjouissons du piqué d’un milan royal, du chant du torrent, de la dérobade d’une couleuvre lovée dans les feuilles sèches. Nous devenons amis avec nos montures, leurs oreilles curieuses rendent le monde autour de nous vibratile.

Nous galopons aux abords des nombreuses ruches déposées sur le bord de la piste, nous imaginant poursuivis et notre joie se mêlent à celle des chevaux dans leur allure préférée. Nous trottons quand le chemin le permet. Nous marchons dans les bois attentifs à la vie qui y bruisse. Avant la pause de milieu de journée, alors que nous longeons un dévers impressionnant, un troupeau de brebis apeurées déboulent devant nous, provoquant le demi-tour intempestif des trois premiers chevaux, bousculade au bord de l’abîme, frayeur des cavaliers … et on repart sur la sente, imaginant le pire, nous résolvant à la confiance.

Chemins, sentiers, pistes nous relient à des paysages d’une beauté inouïe. Nous arrivons au crépuscule à la cabane de pierre du col de l’Estrade. Chevaux soignés, nous improvisons un dîner au milieu des bois, nous bavardons gaiement, revisitant cette journée quand nous sommes interrompus par un visiteur du soir. Et quel visiteur ! “L’homme qui a vu

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l’ourse et …son petit !” Il a encore le regard habité par la peur, l’excitation et la joie. Il a vu la bête ! Nous savons que l’ours traîne ses pattes par ici, nous nous endormons heureux de cette journée et de la proximité avec le pataud prédateur.

3ème jour : durs sentiers muletiers

Aujourd’hui nous allons cheminer par les durs sentiers muletiers, nous allons confier nos âmes et nos corps de bipèdes à nos montures à 4 pattes. Nous allons devenir centaures par la force des choses car ces chevaux vont nous mener à plus de 2400 m de leur pas sûr et serein. Nous montons vers les pelouses d’altitude puis avançons dans les buissons de myrtilles, traversant les troupeaux de brebis, houspillés par les vaillants patous. Nos regards sont rivés vers les paysages majestueux : le pic du Crabère, les crêtes frontalières. Nous nous abîmons les yeux à chercher en vain la silhouette de l’ourse et son petit.

Nous atteignons le col dAuarde. Devant nous s’étalent les fourbes tapis mordorés des tourbières. C’est un enchantement pour les yeux. Chaque pas est un délice et une inquiétude mais Isa, notre guide, connaît son chemin, elle nous amène sur les rives de l’étang d’Huls. Nous nous restaurons rapidement, le site est enchanteur mais les chevaux rêvent de se rouler tout harnachés dans les laîches, les bruyères et les linaigrettes. Ce n’est même pas envisageable ! Les arceaux de nos selles seraient rompus, le contenu de nos sacoches hachés menus.

Nous quittons à regret ces berges tolkiennes et nous montons toujours, vers le pas du Bouc . Nous le franchissons, le souffle coupé par tant de verticalité et de beauté impérieuse. Nous nous engageons à flanc de montagne longeant les crêtes frontalières. Juste derrière l’Espagne!

Au col d’Auéran (1976 m), une croisée de sentiers, nous renonçons au Crabère car l’émeraude de l’étang d’Araing nous aimante. Il nous faudra escalader avec nos chevaux d’improbables pentes rocailleuses, longer une falaise vertigineuse pour enfin délester nos bêtes devant le refuge Husson. Sous les yeux médusés des marcheurs, nous procédons au rituel des soins mais ce soir, grâce à Anoura, le gardien des lieux, nous pouvons leur préparer un enclos. Les eaux fraîches du lac nous attendent, nous nageons et nous nous délassons regrettant de ne pouvoir partager ce moment avec nos chevaux. Désormais nous sommes devenus inséparables.

4ème jour : escaliers de pierre

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A l’aube, la salle de repas du refuge bruisse de toutes les langues, de toutes les ferveurs, chacun dans son projet du jour, marcheurs solitaires, familles équipées, jeunes et vieux enjoués. Nous serons les derniers à partir, le temps de brosser, habiller, sangler nos chevaux. Bientôt nous nous jetons dans les marches de pierre qui vont nous conduire sur la petite estive d’Illau. Pendant presque deux heures, brides à la main, nous marchons devant eux, attentifs aux bruits de leurs sabots, à leur souffle sur nos nuques, à leurs élans contrôlés. Nous atteignons la petite prairie aussi fatigués qu’eux mais la confiance est là plus forte que jamais. Nous poursuivons la descente dans la verte luminosité d’une forêt de grands hêtres. Nous quittons le silence et l’air vivifiant des hautes terres pour descendre dans la touffeur accablante de la vallée

Pause et baignade dans le torrent puis nous reprenons notre marche d’arpenteurs des bois. Nous passons la rivière et empruntons pour s’épargner une route trop longue, une sente de sanglier qui nous amène au hameau de Playras. La pente est telle que nous nous laissons glisser le long des flancs de nos bêtes, attrapons le queue du canasson de devant et dans une folle course, nous nous hissons au sommet au rythme des bêtes. Nous nous échouons en nage devant l’abreuvoir, tête sous l’eau, avant de poursuivre vers le col de la Croix

Plus loin, la trace fraîche de la patte de l’ours est calligraphiée dans la boue du sentier, quelques mètres et c’est la marque de ses griffes sur le tronc d’un châtaignier. L’information troublante est colportée de cavaliers en cavaliers laissant chacun à ses réflexions, le dernier se retrouvant sans doute aussi exalté que le premier.

Temps de canicule, la route est longue. Après plusieurs heures de marche, certains, hébétés, se laissent bringuebaler et secouer dans les pentes raides des dernières estives.
Il est 19h, nous sommes épuisés, les chevaux ont compris la proximité du pré, ils descendent dans un trot désordonné ou est-ce ma fatigue qui induit cet inconfort. Nous arrivons à Saint Lary.

5ème jour : sentes de sanglier, coulées de chevreuil

Nous quittons le village au petit matin, sous le regard bienveillant des habitants, on prend la pose, on se laisse photographier, amusés et un peu gênés de tant d’attentions. L’aubergiste a gentiment garni nos sacoches de victuailles. Nous rejoignons la piste de la Bellelongue, qui comme son nom l’indique est interminable. Elle se prête au galop mais c’est jour de fournaise. Nous ménageons nos montures, leur indiquant le trot, qui sera tout aussi éprouvant sous ce soleil de plomb. La pause de midi est plus

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que nécessaire pour permettre à chacun de récupérer à l’ombre des grands hêtres. Nous repartons, franchissons le col de la Houst. La plaine de la Garonne s’étend au loin dans les brumes de chaleur, les chevaux rentrent et le savent, leur pas s’allonge. Hélas le fracas des arbres sur la piste nous empêche de passer et de suivre la route la plus courte et la plus ombragée. On cherche à esquiver. Nous tentons de suivre une sente de sanglier qui débouche sur une forêt trop dense et bien trop pentue. Nous essayons une coulée de chevreuil qui nous amène sur le lit moussu et pierreux d’une torrent à sec. Trop glissant, nous renonçons et empruntons une très très longue piste qui serpente le long de la montagne. Nous sommes dans la forêt domaniale de Montreich. 4 h de descente au pas nous incitent chacun à l’introspection.

Je sais qu’il me faudra bientôt descendre de mon trône ambulant, je sais que ce chemin en compagnie de mon cheval m’a rendue humble, puissante, infiniment sensible à la beauté du monde. Nous avons été des partenaires magnifiques. On ne peut pas penser cheval, leur monde et leur système sensoriel sont trop différents du nôtre. Mais ce voyage m’a permis de commencer à me dépouiller, de mes aprioris. J’ai l’intuition de la nécessaire mise à nu, de l’indispensable abandon qui permet la rencontre avec un autre vivant. Je ressasse toutes ces pensées au cours de cette longue marche qui nous conduit fourbus à notre point de départ. Nous nous quittons, humains et chevaux, heureux de ce voyage , triste de se séparer. Chacun retourne à son troupeau emportant des images sauvages, des rires partagés, des peurs inavouées, de sereins enthousiasmes … et l’ours, observant la scène derrière un bosquet, nous adresse un clin d’œil et repart de son part balourd vers Pène Nère.

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